La séparation parentale et le conflit de loyauté chez l’enfant

La séparation parentale et le conflit de loyauté chez l’enfant

Olivier Dupuis, psychologue, psychothérapeute

Dans le cadre de demandes de suivis psychothérapeutiques d’enfants, les entretiens familiaux (ou parentaux) peuvent être préférés à un suivi individuel de l'enfant dans un grand nombre de cas. Très souvent, l’enfant est désigné comme le patient problème à traiter (exemple le plus fréquent: des difficultés scolaires où les intervenants envoient l'enfant "se faire tester", ou "prescrive" une "thérapie chez un psychiatre ou un psychologue), alors que ses symptômes témoignent de problèmes d’un tout autre ordre. Dans ce cas, stigmatiser l’enfant comme problème peut s’avérer plus néfaste encore, menant parfois même à des traitements individuels stigmatisants l'enfant ou des  médications parfois inutiles et donc catastrophiques.

Un exemple majeur où il est crucial de travailler au niveau familial autour du symptôme (et non maladie !) est le cas où  les parents sont séparés (ou  en train de se séparer) et que des désaccords ou conflits importants apparaissent entre ces derniers. Il est alors presque systématique que un ou chaque parent rejette « la faute » ou « des fautes » sur l'autre, et que l'enfant soit mis fortement à mal dans un conflit de loyauté intenable, au point d'en développer des symptômes parfois inquiétants, ou au contraire, ne rien montrer,  témoin d'une souffrance impossible à exprimer.  E. de becker (2010, « L’enfant et le conflit de loyauté : une forme de maltraitance psychologique »)  définit le conflit de loyauté comme suit : « D’une façon générale, le conflit de loyauté peut se définir comme un conflit intrapsychique dont l’origine est liée à l’impossibilité de choisir entre deux solutions possibles, choix qui engage le niveau des affects envers des personnes fondamentales en termes d’attachement, à savoir chacun des parents [1]. L’enfant ne peut gérer sereinement cet état, situation rapidement insoutenable conduisant au désarroi puisque, dans l’absolu, père et mère lui sont chers. Le conflit de loyauté consiste en un trouble majeur auquel se trouvent confrontés nombre d’enfants de parents séparés, en mal de se situer entre le désir contradictoire des adultes et les diverses contraintes liées au contexte… ». Les séparations parentales sont propices à ce genre de situations.

Exemples de situations insupportables pour un enfant lors d'une séparation parentale:

- un papa ne parle plus à la mère de son enfant et ne communique que par sms avec cette dernière, et ce encore exceptionnellement, de manière froide et agressive.  Il reçoit son enfant sur le pas de la porte un week-end sur deux, et ce sans aucun échange avec la maman, malgré la volonté de cette dernière. Cette situation est insupportable pour l'enfant, et ce même si il ne le montre pas
- un  parent refuse de venir à un entretien avec le psychologue de son enfant, la demande ayant émané de l'autre parent qui serait le seul problème: l'enfant peut par exemple le vivre comme un abandon du parent, accentué par le parent présent
-  une mère rejette la faute d'un problème de comportement de son fils sur le papa en disant : "A chaque fois qu'il revient de chez son père, il est difficile; si ça continue, je vais entamer des démarches chez le Juge pour qu'il n'y aille plus,...";
- en plein entretien, un père dit devant son fils qui éprouve des problèmes de comportement et alimentaires : "Vous savez, chez moi il n'y a aucun problème, par contre sa mère n'a aucune autorité, et chez elle il ne mange que des plats préparés, pas étonnant qu'il n'ait plus d'appétit..."
- Une maman dit en entretien devant son fils: "Vous savez, mon fils ne veut plus aller chez son père, comme moi il en a marre, d'ailleurs, il ne s'intéresse pas à lui, il ne s'est d'ailleurs jamais occupé de lui...C'est vrai, tu n'as plus envie d'y aller, tu préfères rester chez moi?  "Oui maman"; Et moi, il m'a trompé durant des années, vous trouvez cela correct?...": avec ces paroles, l'enfant risque de ne plus vouloir aller chez son père (avec le risque de développer des symptômes majeurs ou encore plus grave, une dépression intériorisée) ou de de sentir coupable si il  ose défendre son père ou manifester son désir d'aller chez lui....
- toute critique de l’autre parent en présence de l’enfant est nuisible
-interroger de manière insistante et insidieuse l’enfant pour avoir des informations sur l’autre parent (« Avec qui étais-tu ? Ta mère est-elle restée tout le temps ? Y avait-Il un homme ?...)


 Dans les exemples cités, il est primordial d'entamer un travail avec les parents, seuls et/ou ensemble, et de reprendre les choses avec l'enfant, au risque de voir se développer des souffrances importantes et parfois graves.  Dans tous ces cas de figure, les parents, sans s'en rendre forcément compte, place leur enfant dans un insoutenable conflit: devoir choisir entre un de ses parents.  Il est en effet primordial que les parents discernent clairement que leurs problèmes de couple n'ont strictement rien à voir avec leur enfant, et que dès lors même si ils sont en conflit majeur, ils sont obligés de s'entendre et se respecter à minima par rapport à leur enfant. L'augmentation des séparations de couple avec un ou des enfants étant  majeure , la situation est alarmante quand on sait que les enfants sont rudement mis à l'épreuve pour les raisons évoquées ci-dessus.

Rappelons également l'importance que dans les cas de séparation, à moins d'imcompatibilité horaire ou autre (travail trop prenant ou avec horaires très compliqués,...) ou de maltraitances/négligences/abus  graves d'un des parents (un Juge est à même d'en juger), il est préférable qu'il y ait une alternance "50-50" (comme une semaine sur deux, ou autre formule) entre les deux parents. En effet, il est primordial que l'enfant n'ait pas à choisir entre ses parents, ou risque de se sentir abandonner par l'un et développer une relation fusionnelle avec l'autre. Souvent, un des deux parents, fréquemment celui qui a le plus souffert de la séparation (ou parfois les deux) attaque l'autre en demandant la garde exclusive.  Une longue bagarre juridique s'ensuit, avec une décision du Juge, avec au final, quoiqu'il en soit, un ou des enfants meurtris, et ce même si l'enfant ne l'exprime pas pour ne pas blesser le parent qui a "gagné"...Le risque sur le long terme est que l’enfant devenu adolescent ou adulte  rejette soit  complètement le parent qui n’avait pas la garde (vécu d’abandon) soit rejette complètement le parent qui a justement obtenu la garde (pris pour responsable de ne pas avoir vu l’autre parent durant son enfance).


 Exemples de manières de faire propices à l'enfant en cas de séparation (ces avis varient en fonction de chaque situation familiale):

- favoriser les contacts positifs (téléphone, mail) entre les parents: échanger des informations par rapport à l'école, les repas, la santé, ...
- que l'alternance de la garde se fasse si possible (au moins de temps à autres) entre les parents, avec échange positifs d'informations (exemple, le papa vient chercher sa fille chez la maman)
- favoriser les contacts de l'enfant avec l'autre parent absent: téléphone (2 à  plusieurs fois par semaine).
- positiver les rencontres avec l'autre parent et le beau-parent: "C'est chouette, tu as été à WALIBI avec ta maman, c'est génial!"
- reprendre les décisions et proposer des changements petit à petit au Juge après discussion pour réadapter la garde et les visites
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